aire d’accueil – inventaire non exhaustif des pouvoirs de l’imagination

texte







Brigitte W. Sur les places, il y a toujours des histoires, c’est ça qui n’est pas évident. Si ce n’est pas les gamins, c’est toujours autre chose, ou alors c’est des démarrages.
Puis on se plait par ici. Mon gamin s’est marié, enfin il a une copine. Et on a pris l’habitude. Puis j’ai trouvé un boulot. J’ai trouvé du boulot depuis l’année dernière, à la cantine dans les écoles. Puis c’est pas loin, c’est ça qui est bien.

Ici, c’est bien, ce n’est pas loin de tout. Parce que l’aire, parfois, elle est très loin, pour faire les courses, pour l’école des enfants, les amener aux jeux. Mais ici, ça va. J’ai rien à dire, j’aime bien par ici. C’est pas loin de tout. Tu peux même aller au bourg à pieds.
Antoine Le Roux Tu as connu comment c’était avant que les villes construisent des aires…

BW On s’arrêtait sur les fausses routes. Il y avait pas d’aires. Il fallait bien qu’on se trouve un moyen. On s’installait sur les cimetières, sur le parking devant. Puis on prenait l’eau au cimetière. Comment faire autrement ? Les gens comprenaient, ils nous laissaient prendre de l’eau. Sinon, on se mettait sur les fausses routes, les parkings, ou alors on essayait de se trouver un champ, à louer. Mais ce n’était pas trop évident. On y arrivait, mais pas tout le temps. Il y a des fermes qui nous ont acceptées. Il y a eu des campings aussi, mais pas tous.











ALR Est-ce que tu as beaucoup voyagé ?
Ici, c’est bien, ce n’est pas loin de tout. Parce que l’aire, parfois, elle est très loin, pour faire les courses, pour l’école des enfants, les amener aux jeux. Mais ici, ça va. J’ai rien à dire, j’aime bien par ici. C’est pas loin de tout. Tu peux même aller au bourg à pieds.


BW Oh oui, j’ai voyagé. Oh oui ! Dans le sud, beaucoup. Dans le nord. C’est notre vie qui était comme ça. Mais maintenant on attrape de l’âge, alors on veut moins rouler. Puis j’ai perdu mes parents, alors on voyage moins, à cause de ça aussi. On va plus souvent au cimetière. On va sur les tombes, chez nous, souvent.
Autrement, ce n’est pas évident pour les places. C’est sûr, ils ont fait des petites aires de stationnement. C’est mieux que les grandes. En ce qui concerne la taille, on est mieux ici. Parce qu’on voit qui vient sur les places. C’est pas n’importe qui. Sur certaines, il y a vraiment trop de dégâts. Et après, c’est nous qui servons d’exemple. Pour la faute des autres. Mais ici, ils nous connaissent. Ils savent qui nous sommes. Même à l’école où mon fils va ils me l’ont dit.


Puis tu as tout : pharmacie, tabac, boulangerie, épicerie. s’Il manque quelque chose qu’on oublie parfois au magasin, il y a tout là-bas. Et c’est ouvert le dimanche, c’est ça qu’est bien aussi.


Aborder le sujet des terrains des gens du voyages aujourd’hui, c’est poser la question de l’épaisse invisibilité à laquelle ces espaces sont condamnés. Territoires sans mémoire nés dans le détournement de notre regard, interchangeables à souhait, il n’en existe quasiment aucune représentation, hormis celles véhiculées par la presse et les media traditionnels. Les photographies d’Aire d’accueil se présentent alors comme une alternative possible et nécessaire, débarrassée de toute idée de sensationnalisme. Dans le cadre d’une approche trompeusement neutre, Antoine Le Roux ne cesse d’interroger la nature même de ces espaces, fruits de l’assujettissement de l’imagination à la froideur étriquée des normes administratives.

Aire d’accueil a été présenté pour la première fois dans la cadre d’un travail de recherche de Master en photographie à l’ENS Louis-Lumière puis à la médiathèque Matéo Maximoff – FNASAT-Gens du voyage en mars 2018 dans le cadre de la saison tsigane.