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Une brève histoire du regard

Qu'est-ce que cela signifie d'être mobile ? Quel type de rapports entretenons-nous avec l’espace, avec les lieux que nous traversons ? Qu’ils soient mentaux ou physiques, qu’ils renvoient à une position géographique ou sociale, comment la photographie peut-elle apporter des outils pour explorer ces territoires ? Le point de départ de ma démarche se situe à la croisée de ces interrogations.

La notion de mobilité semble aller de soi quand il est question des personnes Manouches, Gitanes, Voyageuses ou Roms. Les représentations les concernants insistent encore souvent sur le nomadisme qu’ils ou elles sont sensées pratiquer. Pourtant, il n’existe aucun autre groupe social en France à avoir subit autant d'injonctions à l'immobilité depuis la fin du XIXème siècle. Il me semble que les paysages dans lesquels vivent ces personnes aujourd'hui, paysages qui leur sont imposés sous la forme des terrains d’accueil par exmple, portent la marque de ces contraintes. Une chose est frappante lorsque l’on se trouve sur un de ces lieux : le regard atteint rarement l’horizon.

Depuis maintenant plusieurs années, j’utilise la photographie pour constituer une archive visuelle de ces espaces. Cette démarche trouve son sens dans un constat simple : comment est-ce possible qu’en tant que citoyen l’occasion de traverser ces espaces, qui sont conçus comme des enclaves, ne se présente jamais ? Tenter de répondre à cette question par la photographie revient à interroger le sens et le pouvoir politique que portent les représentations, en particulier visuelles. Par ce qu’elles montrent, mais aussi par ce qu’elles ne montrent pas, les images dissèquent, scrutent, et paradoxalement rendent visibles ce qui ne l’est pas. Photographier les paysages dans lesquels vivent les Voyageurs en France, sans photographier ces Voyageurs, renvoie nécessairement à l’invisibilité qu’ils et elles connaissent. Et ce renversement de point de vue se propose alors d’être lu comme une anthropologie de l’ici et de soi-même, non plus de l’autre et de l’ailleurs.

En creux de ces images qui semblent nous mettre à distance, il existe bien des histoires, des souvenirs, partagées par des Voyageurs rencontrés lors de mes déplacements. Ces histoires sont la manifestation précise de nos relations de voisinage possible. Elles sont surtout le signe que ces espaces, froids et parfois déshonorant, ne résistent pas longtemps au sensible des gestes et paroles humaines.


Ce projet a reçu le soutien du Ministère de la Culture.